Capsule 4 JG Germain

jcgermain1En 1967, j’étais chroniqueur de l’Expo au Petit-Journal et depuis un an et demi, toutes les semaines je posais la même question à tous ceux que j’interviewais : serons-nous prêts pour l’ouverture du 28 avril. Si j’avais été chroniqueur de l’Éducation, je me serais surpassé. Faut croire que l’année 67 était une bonne année pour improviser.

L’implantation en catastrophe de 5 cégeps au mois d’août 1967 illustre un fait que l’on oublie trop souvent, la réforme des cégeps comme l’ensemble de la réforme de l’éducation des années 60 est le résultat de l’arbitrage politique.  

Dans une phrase fleuve, Martial Dassylva résume merveilleusement bien la saga de l’implantation des cégeps. Si on additionne l’immensité de la tâche, des enjeux en cause, des forces, des intérêts, des aspirations en présence, auxquels on ajoute les réticences et les blocages du monde scolaire anglophone et de l’élite religieuse catholique, en ajoutant la pression des urgences à affronter, la naissance des cégeps s’est déroulée globalement d’une façon civilisée, rationnelle et non improvisée. Sur le terrain, Jean-Paul Des biens se souvient que c’était un peu plus rock and roll.

On avait prévu sept cégeps. Il y avait sept anciens collèges classiques qui étaient mûrs et qui désiraient effectuer la conversion. Leur milieu le désirait. Ils étaient mûrs pour devenir des cégeps. Tout d'un coup, le téléphone sonne dans le courant de l'été. On est en été ! Peut-être au début de juin ou quelque chose comme ça! C'est Johnson qui est au pouvoir! L'opposition libérale reproche au gouvernement d'avoir complètement négligé la région de Montréal dans les sept premiers cégeps, ce qui était, en tout cas, assez vrai.

Coup de téléphone, donc : « Il nous faut des cégeps à Montréal pour septembre prochain et que ça saute! » De sept, on est passé subitement à douze, comme ça, simplement !

Le rapport Parent avait établi la loi des cinq unités : d’administration, de direction pédagogique, du corps enseignant, du corps étudiant et de lieu. Le gabarit avait été établi à 1 500 élèves. Mais les circonstances particulières priment. Le Vieux Montréal était prévu autour du Collège Sainte-Marie, mais en cours de route l’institut technologique de Montréal, l’Institut des arts appliqués, l’École des Beaux-Arts et le collège Mont Saint-Louis s’ajoutent et ça donne un campus de 6 000 élèves.

L’année 1968 accouche de 12 nouveaux cégeps dont celui de Sherbrooke. Rassurez-vous sa naissance est tout à fait normale puisque l’année suivante, il connaîtra sa première contestation étudiante - une sorte de baptême.

Il y avait une mouvance sociale incroyable à cette époque : une mouvance très riche que je ne condamne pas quand je la regarde avec le recul, se souvient Jean-Noël Tremblay qui n’était pas le ministre mais un prof. Les premiers gestionnaires, les premiers directeurs généraux, les premiers directeurs! des services pédagogiques, les DSP, comme on disait, avaient beaucoup à gérer : les programmes, le recrutement d'enseignants de qualité. Mais ce n'est pas ça qui a été la partie la plus difficile. Le plus difficile a été de gérer le climat général, le fonctionnement général des collèges.

On faisait notre chemin en marchant, les règles administratives financières, par exemple, tout cela s'établissait au fur et à mesure.

Les syndicats voulaient occuper le terrain, et c'est au cours de ces années-là qu'ils le font. Les professeurs contestent dans les différentes instances et la durée de vie des cadres est plutôt courte.

Moi, comme enseignant, mon principal problème de gestion dans la classe, c'était la drogue, les cas lourds de drogue : le LSD, les problèmes de cette nature-là.

La turbulence, les contestations, c'est au cégep que ça se passe. Le cégep correspond à l'âge de la révolte, de la prise de conscience politique. C'est au cégep que ça se vit, ces affaires-là ! Ce n'est pas au secondaire, ni même à l'université! Cette ambiance a beaucoup coloré la gestion des collèges. Ça a coloré l'enseignement, ça a créé une culture qui, à mon avis, est celle des cégeps. Une culture particulière qui a comme caractéristique d'être beaucoup plus dynamique.

Et au rayon des témoignages de ceux qui étaient là, il y a 40 ans, le dernier mot sur ce qui a été réussi revient à Jean-Paul Desbiens. Je dirais le brassage des classes dans le sens où en parlait le rapport Parent est un objectif qui a été substantiellement atteint. Au sens où nous n'avons plus les trois grandes classes sociales : les professions libérales, médecins, notaires, curés ! Ça, ça a été réussi, le brassage des classes.

On parle beaucoup plus du Refus global que du rapport Parent ces jours-ci et l’on oublie que c’est le deuxième qui a donné droit de cité au premier dans la vie de tous les jours.

Inventer une école qui se veut l’apprentissage de toutes les libertés c’est toujours aussi révolutionnaire que ça l’était.

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