Miss Mozart

Dans le cadre du 40e anniversaire du Cégep, une chronique portant sur des personnes et événements qui ont marqué l’établissement sera publiée dans le Cégep-Inter. Voici le deuxième texte.

Peu de gens connaissent son nom, bien qu’elle soit pourtant l’un des personnages les plus célèbres de toute l’histoire du Cégep. Son corps massif et sa tête plutôt carrée ne manquent ni de charme, ni d’élégance. Sa superbe livrée, avec ses taches marron sur fond ocre, ferait l’envie de n’importe quel maroquinier et attire, depuis plusieurs années déjà, le regard curieux de tous les visiteurs des portes ouvertes du Cégep, événement duquel elle est la star incontestée.

Tous l’admirent, nul ne la touche. Pourtant Miss Mozart, vénérable boa constrictor imperator de 18 ans, n’est pas venimeuse. Son tempérament est plutôt doux. Ses lunettes d’écailles cachent à peine un air indolent et lascif. D’un calme imperturbable, elle reste la plupart du temps recroquevillée, le dos luisant comme celui d’une nageuse après l’effort.

Arrivée au Cégep en 1990, les débuts de sa vie collégiale furent marqués par le fait qu’on crut d’abord qu’elle était de sexe masculin. D’où le nom de Mozart. Pour une raison inexpliquée, plusieurs animaux de sexe féminin qui logent à l’animalerie du Cégep portent un nom masculin. Il faudra bien qu’un jour un émule de Freud se penche sur cette question. Quoi qu’il en soit, vint un jour où, la véritable identité sexuelle du reptile fut découverte et mise à jour. Elle devait bien être âgée d’une dizaine d’années. En vérité, cette découverte ne changea rien à ses habitudes. Comme quoi les distinctions de sexe ne sont pas toujours d’une grande utilité.

Mais Mozart doit surtout sa célébrité à son art maîtrisé de la fugue. Dès son arrivée, elle fit la vie dure à Carmen, apparitrice de l’animalerie alors en pleine construction. On dit que Carmen terminait souvent sa journée à la recherche du vertébré sans pattes qu’elle retrouvait sous les meubles, dans les tiroirs laissés entrouverts, dans les coins et recoins où Mozart pouvait trouver calme et chaleur.

Vint un jour où Carmen ne la trouva pas. Mozart avait disparu. Elle resta introuvable pendant six longs mois. Elle apparut enfin, aux abords d’un évier, pour un bonjour matinal à un plombier qui eut du mal en s’en remettre, beaucoup de mal raconte la légende. Qu’avait fait Mozart dans le Cégep pendant tout ce temps? Comment occupa-t-elle les soirs de pleine lune quand son ombre s’allongeait sur les murs? Comment a-t-elle trompé sa faim? Nul ne le sait.

Ce que l’on sait cependant, c’est qu’à l’exception de jours de portes ouvertes, elle coule des jours paisibles dans son aquarium sécurisé. Carmen veille toujours sur elle…

Réjean Bergeron
pour le Comité du 40e