Capsule 2 JG Germain

On a toujours l’illusion que la Grande Noirceur s’en est allée en s’éclaircissant, alors que c’est tout le

jcgermain_cc2 contraire. Elle a débuté en 1840 avec la reconnaissance de l’Église catholique par le pouvoir britannique. Elle prend son envol vers 1860 et va s’épaississant comme un smog permanent sur toute la société québécoise jusqu’au black out du début de la Deuxième guerre mondiale.  

En 1942, l’épiscopat a finalement accepté de cesser son opposition à l’école obligatoire contre l’assurance d’un contrôle direct sur les nouveaux programmes qui seront produits, afin que l’école publique demeure profondément catholique. C’est dans cet éclairage que la loi rendant l’école obligatoire a été votée par gouvernement libéral d’Adélard Godbout en 1943.

Dans les nouveaux programmes de l’école primaire, l’instruction religieuse occupe la moitié des pages. Les manuels antérieurs, avec tous les défauts qu’on avait pu leur trouver, étaient constitués de questions et réponses que les enfants apprenaient par cœur sans rien comprendre. Mais leur contenu était essentiellement axé sur la discipline à enseigner.

Désormais, les manuels de mathématiques font compter des chapelets et des crucifix ; les manuels de français proposent des lectures pieuses; l’histoire adopte un contenu intensément religieux. L’école est devenue obligatoire, certes, mais les enfants sont abreuvés jusqu’à plus soif de l’idéologie cléricale, beaucoup plus fortement que durant les décennies précédentes.

En 1950-1951, la très vaste majorité des jeunes Québécois ne fréquente encore, comme au début du XXe siècle, que l’école élémentaire. En fait, sur 100 élèves inscrits en première année, deux seulement persévèrent jusqu’à la douzième. Près de 45 % des garçons redoublent au moins une classe au primaire et 40 % ne parviennent pas à obtenir leur certificat de septième année.

Curieusement, il semble que formation des maîtres ne précède jamais mise en œuvre d’une réforme pédagogique. Celle des années 40 n’a rejoint les écoles normales que 10 ans plus tard. Jusqu’en 1954, pour fréquenter une école normale, on exigeait une scolarité de onze ans pour les garçons, mais neuf étaient suffisantes pour les filles.

Le premier diplôme, le brevet C, obtenu après des études d’un an, n’était offert qu’aux filles. Le brevet B, qui concluait des études de deux ans, était choisi massivement par les normaliennes, car c’était celui qui était offert dans les petites écoles normales qui pullulaient. Ces deux brevets ouvraient la porte de l’enseignement primaire.

Comme la très grande majorité de ces institutrices étaient congédiées au moment de leur mariage, le roulement était permanent : la société québécoise consommait ses institutrices comme une ogresse. Quelques-unes dissimulaient même leur mariage aux autorités pour ne pas être obligées de signer une lettre de démission.
Dans certaines régions rurales, on acceptait même des brevets D, voire E, qui constituaient des permis d’enseignement après une onzième ou une dixième année.

En 1949, les deux tiers des écoles de rang n’avaient pas d’électricité ni de toilettes, la moitié n’avait pas l’eau courante et que les trois quarts étaient chauffées par un poêle à bois ou à charbon. Et le salaire était à l’avenant. Les trois-quarts des institutrices en milieu rural gagnaient toujours moins de 900 $ par année. En 1952-1953, près de la moitié touchaient moins de 1 000 $ par année, alors que, dans le secteur industriel : le salaire moyen se situait à 2 500 $.

En 1968, l’Alliance des professeurs de Montréal a décrit la situation et l’attitude des enseignantes dans un mémoire : Comme toutes les autres femmes du Québec, elles n’ont pas été préparées pour assumer leur rôle social et ne semblent pas conscientes des services qu’elles pourraient rendre à la profession en acceptant des postes supérieurs trop souvent occupés par des arrivistes peu compétents, en dépit de leurs diplômes.  

Sérieusement handicapées par l’éducation qu’elles ont reçue et peu remarquées par les autorités presque exclusivement masculines du monde scolaire, les femmes enseignantes manquent de l’ambition la plus légitime. L’image de la femme que l’on avait inculquée aux Québécoises d’alors était celle qu’on trouvait dans tous les manuels scolaires. Celle-là même qui a brisé la carrière politique de Lyse Payette en 1980.

Celle d’une femme vivant en vase clos, l’image de la femme au foyer, servante de ses enfants et de son mari, l’image d’une Yvette douce, patiente et soumise.

Et vlan dans les gencives de la nostalgie du bon vieux temps !

Sources :
Brève histoire des institutrices au Québec de la Nouvelle-France à nos jours, Andrée Dufour, Micheline Dumont, Boréal, 2004
Une histoire de l’éducation au Québec, Pierre Graveline, Bibliothèque québécoise, 2007

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