Capsule 1 JG Germain

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En 1643, un an après la fondation de Montréal, la colonie de Boston adoptait une législation qui rendait l’instruction des enfants obligatoire sous peine d’amende pour les parents. La conséquence en sera que la Révolution américaine sera la seule révolution dans l’histoire dont la grande majorité des bénéficiaires pourra lire sa propre Déclaration d’indépendance.

Au Québec, on a pris tout notre temps pour s’assurer que c’était pas une mode passagère, on a attendu jusqu’en 1943 pour adopter une législation similaire, en accusant un retard stratégique de 300 ans. Pis même là, la loi qui a rendu l’instruction obligatoire jusqu’à 16 ans a été adoptée en 1964.

Autrement dit, nos ancêtres analphabètes et illettrés ont pris sur eux de ne pas attendre d’avoir le bon vocabulaire ou les diplômes pour nous défendre, nous nourrir, nous loger, nous soigner, nous chérir et nous protéger du froid.

C’est eux qui ont arpenté le continent, couru les bois, trappé, chassé, abattu des arbres, construit les maisons, défriché, dessouché, hersé, ensemencé les champs, engrangé le foin, épluché le blé d’inde, fait boucherie, des conserves, de la tire, des bougies, cousu, tissé, forgé, cloué et pratiqué tous les métiers que le Bonyeu a inventés pour nous empêcher d’avoir des mauvaises pensées dans la morte-saison. Sans oublier la centaine d’heures par semaine des ouvriers et des midinettes pour faire tourner la révolution industrielle dans les shoppes, les facteries, les manufactures.

Puis, le soir venu, c’est encore les mêmes illettrés qui ont trouvé le temps de nous faire rêver avec les mots et les métaphores de leurs contes, tout en zigonnant sur un crincrin, qui n’avait peut-être pas appartenu à Stradivarius, mais qui avait assez de vif-argent dans le nerf des cordes pour faire swinguer la baquaisse dans l’fond d’la boîte à bois comme jamais Paganini aurait même songé à le faire.

Pour tout dire simplement, les analphabètes nous ont portagés sur leur dos jusqu’à l’aube de la présente révolution technologique. Lorsqu’on apprend dans le journal qu’il y a encore un million d’analphabètes au Québec, il ne faudrait pas y lire un constat d’échec. Aucun pays moderne n’est parvenu à alphabétiser une population en 50 ans. Il faut prendre le diagnostic pour ce qu’il est : un rapport d’étape. Il ne reste plus qu’un million d’analphabètes à alphabétiser au Québec!

Si l’analphabétisme est une honte, encore plus honteuse devrait être la honte de ceux qui feignent avoir oublié que nous en sommes tous issus.

Si on fait le bilan du chemin parcouru depuis un demi-siècle, et surtout en accéléré depuis la fin des années soixante, on peut modestement parler d’un véritable miracle culturel québécois, un miracle qui va de l’affirmation créatrice des peintres à la prise de parole des poètes, de l’éclosion de la chanson à l’apparition des cinéastes, de l’émergence d’une télédramaturgie et d’une dramaturgie nationale à l’invention d’un théâtre pour enfant et d’une littérature jeunesse, de l’explosion de la danse moderne, de la musique contemporaine et de la musique actuelle jusqu’à l’arrivée inopinée du dernier né, le cirque, la multiplication des humoristes, la renaissance de la musique traditionnelle et le retour des conteurs.

Il ne faudrait tout de même pas oublier que sans la richesse populaire que nous ont léguée nos ancêtres analphabètes, il n’y aurait pas eu de miracle culturel québécois.

Dans tous les domaines de la culture québécoise, la créativité se renouvelle en permanence depuis 30 ans et rien n’indique un épuisement prochain de la ressource.

C’est la culture qui a donné et donne une voix et un visage au Québec. Là où l’économie québécoise se doit de faire à Rome comme les Romains, c’est-à-dire de dissimuler son identité derrière celle d’une filiale nationale dans chacun des pays où Bombardier, par exemple, choisit de faire des affaires, la culture est la face visible du Québec dans le monde.

Incidemment, si on fait le décompte de ceux et celles qui dessinent les traits de ce visage du Québec dans le monde, et qu’on établit leur âge moyen, on est à même de constater un fait qui pourrait fort bien en étonner plus d’un. Ils ne sont pas issus du cours classique mais des cégeps.

Ainsi lorsqu’on reproche à ces derniers de n’avoir produit que des décrocheurs, dont la graine a été semée au primaire pour n’oublier personne, on pourrait également rappeler que les cégeps et le système scolaire qui ont enterré le cours classique ont été et demeurent les incubateurs du miracle culturel québécois.

La culture québécoise n’est pas un projet d’avenir ou un souvenir, elle est bien vivante, dans la fleur de son âge et au meilleur de sa forme. Le Québec possède actuellement une richesse culturelle incomparable et jouit d’un privilège unique, celui d’être le contemporain de ses classiques.

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