Capsule 3 JG Germain

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Shakespeare est Shakespeare et Molière est Molière! Même ça, c’est pas toujours garanti ! Jusqu’au tout début du XXe siècle, Roméo et Juliette ne mouraient pas à la fin de la pièce. Les gens préféraient un « happy end ». Quant aux pièces de Molière, y avait plus de gags que les acteurs avaient ajoutées au fil du temps que de répliques du texte original.

Pour Shakespeare, le grand responsable du retour au texte d’origine est un grand acteur nommé Henry Irving. En France, Jacques Copeau a rendu le même service à Molière.

Le texte le plus révolutionnaire de la Révolution tranquille est le Rapport Parent et son impact a été aussi déterminant pour la société québécoise que la Charte de la langue française du docteur Laurin.

C’est un texte fondateur qui a été rendu public en trois tranches successives. La première, en avril 1963, proposait la création du ministère de l’Éducation et du Conseil supérieur de l’éducation; la deuxième, en novembre 1964, présentait les projets des nouvelles structures de l’enseignement, les programmes et les contenus de l’enseignement à tous les niveaux ; la troisième tranche, en mars 1966, abordait les thèmes de la diversité religieuse et culturelle, de l’administration locale et du financement du système de l’enseignement pour les 15 années à venir.

La démarche du Rapport Parent s’articule autour de trois idées phares. D’abord, inculquer la passion de la vérité et de l’intelligence à l’enfant – une intelligence que les commissaires définissent comme totale.

Ensuite, faire appel à une pédagogie active qui élimine le pédantisme des maîtres, les carcans des programmes et la passivité de l’enfant. Dans cet esprit, les valeurs à honorer à l’école sont : le respect de l’intelligence, les dons créateurs et l’esprit de recherche.

Puis, la troisième idée phare est la polyvalence d’un système unifié et cohérent de la maternelle à l’université, incluant l’éducation des adultes et pour y arriver, il n’y avait pas d’autres voies que de créer un ministère de l’Éducation et un ministre.

Dans cette vision, les réformes de structures proposées au secondaire ont pour objet d’éviter une orientation prématurée, difficilement réversible et cause d’échecs et de retards. Les collèges classiques sont amputés de quatre années : éléments latins, syntaxe, méthode et versification.

La polyvalence du secondaire doit être complétée par une polyvalence au post secondaire. Après avoir étudié le système américain, les commissaires concluent que l’université n’est pas le milieu le mieux adapté à l’accueil des élèves du secondaire. D’où la notion d’un enseignement intermédiaire entre les deux.

C’est un projet ambitieux, du neuf et de l’inédit, qui permettra la création d’un système d’enseignement plus riche et plus large, plus souple et plus simple, plus généreux et plus démocratique.

40 ans plus tard, la commission Parent a-t-elle été naïvement démocratique ? La notion de cégep était-elle le fait d’intellectuels, d’idéologues rêveurs ? d’utopistes ? d’illuminés ?

Aux dires de Guy Rocher, membre de la commission Parent et l’un des architectes de la loi 101, le bilan est positif : c’est la voie qui a le plus favorisé la scolarisation de la jeunesse québécoise et ses succès scolaires.

Rocher fait également remarquer que ce fut l’occasion du plus grand accommodement raisonnable que le Québec a connu. Des hommes et des femmes ont fait le don de l’institution à laquelle ils étaient attachés, souvent par vocation religieuse, et offerts de continuer à servir l’enseignement dans un nouvel environnement, en collaboration avec des enseignants venant d’un tout autre horizon, sous une direction souvent étrangère à leurs traditions et dans un établissement désormais laïcisé.

C’est dommage que les commissaires Bouchard et Taylor n’aient pas pris la peine de relire le rapport Parent avant de s’inventer une société qui porte des œillères, frileuse, craintive, fermée sur elle-même. Ils auraient découvert tout le contraire et la preuve qu’avant de demander aux autres de s’intégrer à un idéal qui transcende les différences, la société québécoise s’est imposée l’exercice à elle-même, non sans heurt mais avec courage et détermination.

C’est la pression sociale de la population qui a fait la différence, rappelle Jean-Paul Desbiens. La pression venait du politique. Jean-Jacques Bertrand, ministre de l’Éducation sous Daniel Johnson était brûlé en effigie parce que les gens voulaient un cégep dans leur ville ! Brûlé en effigie à Amos ! Ça fait pas mal, mais c’est très significatif sur le plan politique.

Le monde l’avait attendu assez longtemps qu’y le voulait tu-suite ! Pis y l’ont eu tu-suite ! Ou presque !

Source :
Les cégeps : une grande aventure collective québécoise, sous la dirtection de Lucie Héon, Denis Savard, Thérèse Hamel, PUL, 2006

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